L’action en justice en réparation du préjudice causé par
les troubles mentaux liés au travail
La réparation des troubles mentaux causés par des agissements professionnels fautifs repose sur une articulation rigoureuse entre les preuves, les fondements juridiques choisis et la stratégie judiciaire. L’assistance d’un conseil juridique spécialisé en droit social s’avère souvent indispensable dans ces affaires complexes.
Les différentes procédures en réparation des troubles mentaux liés à des agissements fautifs de l’employeur
En principe, en tant que juridiction de droit commun pour les litiges entre le salarié et l’employeur, la juridiction compétente est le Conseil de prud’homme. Cependant, le salarié a également la possibilité d’agir devant le Tribunal judiciaire dans le cadre d’une procédure civile en responsabilité pour faute notamment si les agissement fautifs ne sont pas directement causés par l’employeur.
Les procédures devant le Conseil de prud’hommes
Devant le Conseil de prud’hommes, il existe 2 types de procédures concernant l’action en réparation du préjudice causé par les troubles mentaux liés au travail du fait de l’employeur. Le salarié précisera dans sa requête aux fins de saisine celle qu’il souhaite engager entre les suivantes :
- La procédure devant le Bureau de conciliation et d’orientation est la première étape obligatoire de la procédure prud’homale, sauf exceptions. Son objectif principal est de favoriser un règlement amiable du litige entre le salarié et l’employeur. En cas d’échec, total ou partiel, l’affaire est ensuite orientée vers le Bureau de jugement, qui sera chargé de trancher les points litigieux. Dans l’attente, le Bureau de conciliation et d’orientation peut prendre des mesures provisoires ;
- La procédure accélérée au fond qui permet une évaluation complète des faits directement devant le bureau de jugement, uniquement pour les cas prévus par la loi tels que le harcèlement moral et le harcèlement sexuel. Ce n’est pas une obligation pour le salarié mais dans ces deux situations il peut bénéficier de cette procédure pour aller directement à la phase de jugement sans passer par la phase de tentative de conciliation ;
Les procédures devant le Tribunal judiciaire
Concernant l’action en réparation du préjudice causé par les troubles mentaux liés au travail, il peut s’avérer judicieux pour le salarié de saisir le Tribunal judiciaire dans le cadre de la responsabilité civile pour faute, notamment pour bénéficier d’un délai pour agir bien plus long en cas de faute de l’employeur ayant causé des troubles mentaux au salarié ( voir ci-dessous « Les délais pour agir » ) mais aussi lorsque les troubles mentaux sont la conséquence d’une faute commise par une personne autre que l’employeur, ou lorsque la faute de l’employeur n’est pas directement liée à l’exécution du contrat de travail mais relève d’un acte extérieur.
Devant le Tribunal judiciaire, la procédure en réparation du préjudice causé par les troubles mentaux liés au travail est celle de la procédure de la responsabilité civile de droit commun qui se base sur les principes généraux de la responsabilité civile extra-contractuelle, à savoir :
- L’article 1240 du Code Civil qui dispose que « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » ;
- L’article 1241 du Code Civil qui dispose que « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par sa faute, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. ».
Les agissements fautifs
Les agissements fautifs directement imputables à l’employeur ou à ses préposés
Les troubles mentaux liés au travail peuvent ouvrir droit à réparation dès lors qu’ils résultent d’agissements répréhensibles imputables à l’employeur ou à ses préposés. Ces agissements sont les suivants :
- Le non-respect, par l’employeur, de l’obligation de sécurité mise à sa charge par l’article L. 4121-1 du Code du travail. Cette obligation consiste à prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés avec des actions de prévention, d’information et de formation, ainsi qu’une organisation et des moyens adaptés.
Les tribunaux, notamment la Cour de cassation avec une décision en date du 28/02/2006, imposent une obligation de sécurité de résultat (le résultat attendu doit impérativement être atteint), qui peut engager la responsabilité de l’employeur dès lors qu’un dommage survient, même si des mesures de prévention ont été mises en œuvre ; - Les discriminations, notamment celles fondées sur l’état de santé ou le handicap, ce qui inclut les troubles mentaux, interdites par les articles L. 1132-1 et suivants du Code du travail ;
- Le harcèlement moral défini par les articles L. 1152-1 et suivants du Code du travail comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits du salarié et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
- Le harcèlement sexuel défini par les articles L. 1153-1 et suivants du Code du travail comme des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à la dignité du salarié en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers, est également constitutif de harcèlement sexuel ;
- Les conditions de travail dégradées, une surcharge de travail chronique, ou une pression managériale démesurée peuvent être considérées comme des manquements aux obligations de l’employeur ;
- L’inaptitude non reclassée ou mal gérée lorsque l’état de santé du salarié, notamment mentale, est constaté comme incompatible avec son poste. L’employeur a une obligation de reclassement ou, à défaut, de licenciement selon les règles prévues par le Code du travail.
Les agissements fautifs imputables à des tiers
Les troubles mentaux liés au travail peuvent ouvrir droit à réparation dès lors qu’ils résultent d’agissements répréhensibles imputables à l’employeur ou à ses préposés. Ces agissements sont les suivants :
- Les troubles mentaux résultant de l’action d’une personne extérieure à l’entreprise (un prestataire, un client ou un fournisseur) qui aurait commis une faute ayant directement impacté la santé psychologique du salarié ;
- En cas de harcèlement moral ou sexuel commis par un collègue non-hiérarchique, le collègue harceleur peut être personnellement poursuivi devant le Tribunal Judiciaire pour sa propre faute civile, en complément ou non d’une action contre l’employeur devant le Conseil de Prud’hommes ;
- La diffamation ou les injures proférés par un collègue ou un tiers qui ont entraîné des troubles psychologiques importants pour le salarié peuvent faire l’objet d’une action en responsabilité civile devant le Tribunal Judiciaire contre son auteur ;
- Dans des cas exceptionnels de faute intentionnelle ou d’une faute détachable de ses fonctions, un dirigeant peut être poursuivi personnellement en responsabilité civile devant le Tribunal Judiciaire ;
Le lien de causalité entre les agissements fautifs et le trouble mental
Il est impératif de démontrer le lien de causalité entre les agissements fautifs et les troubles mentaux, c’est à dire que les troubles mentaux sont directement la conséquence des agissements de l’employeur ou des conditions de travail.
Cela peut impliquer de prouver l’absence d’antécédents médicaux similaires avant la période litigieuse.
Les préjudices susceptibles d’indemnisation
Les troubles mentaux causés par le travail peuvent engendrer une multitude de préjudices, tant patrimoniaux qu’extrapatrimoniaux, dont la réparation peut être demandée.
Les préjudices patrimoniaux
Les préjudices patrimoniaux subis par le salarié sont les préjudices qui sont directement liés à des pertes financières. Il incluent notamment :
- Les pertes de salaires consécutives à des arrêts de travail, des périodes d’inaptitude temporaire ou définitive ;
- Les frais médicaux et paramédicaux non pris en charge par la sécurité sociale ou la mutuelle (consultations de spécialistes, thérapies, traitements médicamenteux, etc.) ;
- Les frais de formation ou de reconversion professionnelle si les troubles mentaux empêchent la poursuite de l’activité initiale et nécessitent une réorientation ;
- La perte de chance professionnelle si les troubles ont impacté négativement l’évolution de carrière du salarié.
Les préjudices extrapatrimoniaux
Les préjudices extrapatrimoniaux (ou moraux) subis par le salarié sont plus difficiles à quantifier mais sont essentiels à la réparation intégrale du dommage. Il incluent notamment :
- La souffrances physiques et morales (pretium doloris) c’est à dire la douleur endurée du fait des troubles mentaux ;
- Le préjudice d’agrément comme la perte de la possibilité de pratiquer des activités de loisirs ou sportives ;
- Le préjudice esthétique en cas de répercussions visibles des troubles (perte de poids importante, détérioration de l’apparence due au stress ou à la dépression, etc.) ;
- Le préjudice d’établissement en cas de perte de chance de réaliser un projet de vie familiale normal ;
- Le préjudice sexuel en cas d’atteinte à la vie intime.
La preuve des agissements fautifs
La charge de la preuve
En principe, c’est au salarié qui saisit la justice d’établir la matérialité des faits. Cependant, et conformément à l’article L. 1154-1 du Code du travail, le salarié n’a pas à prouver de manière exhaustive les faits de harcèlement moral ou de harcèlement moral. Par analogie, ce régime probatoire spécifique est souvent appliquée aux autres faits portant atteintes à la santé mentale. Il lui suffit de présenter des éléments laissant présumer leur existence. Il appartient ensuite à l’employeur de démontrer que les agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement ou qu’il a pris les mesures nécessaires pour les prévenir.
Cette modulation de la charge de la preuve a été confirmée par la Cour de cassation (Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551).
Les éléments de preuve
Les éléments de preuve du salarié sont notamment les suivants :
- Les témoignages avec des attestations de collègues, d’anciens salariés, de clients, etc. ;
- Les documents écrits comme les échanges de courriels, SMS, comptes-rendus de réunions, évaluations professionnelles, plannings, feuilles de temps prouvant une surcharge de travail, etc. ;
- Les absences répétées du salarié ;
- Les certificats médicaux établis par le médecin traitant, le psychiatre, le psychologue, décrivant l’état de santé mentale (anxiété, dépression, burn-out, stress post-traumatique, etc.) et faisant le lien avec les conditions de travail du salarié ;
- Les constats d’huissier peuvent être établis pour des faits observables (conditions de travail dégradées, etc.) ;
- Les rapports d’expertise d’experts psychiatres ou psychologues désignés par le juge ou à l’initiative du salarié ;
- Les signalements internes avec la preuve des alertes émises auprès de la hiérarchie, des ressources humaines, des représentants du personnel, du médecin du travail.
Les délais pour agir
Les délais pour agir devant le Conseil de prud’hommes
Le délai applicable pour agir en justice, c’est à dire le délai de prescription de l’action en justice, dépend du fondement juridique de l’action engagée et du tribunal saisi par le salarié pour traiter sa demande.
Devant le Conseil de prud’homme, les délais de prescriptions sont les suivants :
- En cas de harcèlement moral avéré ou allégué et de harcèlement sexuel, le délai de prescription est de 5 ans à compter du jour où le salarié a connu les faits lui permettant d’exercer son droit (article 2224 du Code civil), en l’espèce à compter du dernier fait de harcèlement ;
- En cas de discrimination, le délai de prescription est de 5 ans à compter du dernier fait de la révélation de la discrimination (article L1134-5 du Code du travail) ;
- Les actions relatives à l’exécution du contrat de travail, qui comprend l’obligation générale de sécurité de l’employeur et par conséquent les situations susceptibles d’engendrer des troubles mentaux, sont soumises à un délai de prescription de 2 ans à compter du jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit (article L1471-1 du Code du travail). Dans le cas de troubles mentaux, ce point de départ est souvent lié à la date de la consolidation du dommage (moment où l’état de santé de la victime est considéré comme stabilisé et ne plus être susceptible d’amélioration ou d’aggravation notable) ou à la date à laquelle la victime a eu connaissance du lien de causalité entre les agissements et ses troubles psychologiques (suite à un diagnostic médical clair, un rapport d’expertise, ou la prise de conscience que les symptômes sont bien liés à des faits spécifiques) ;
Les délais pour agir devant le Tribunal judiciaire
Devant le Tribunal judiciaire, les délais de prescriptions sont les suivants :
- En principe, le délai de prescription d’une action action en responsabilité civile est de 5 ans à compter du moment où la victime a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant d’exercer son droit (article 2224 du Code civil) ;
- Par exception, le délai de prescription est de 10 ans en cas de dommage corporel (article 2226 du Code Civil). Les troubles mentaux (dépression, stress post-traumatique, burn-out sévère, etc.) sont considérés comme des dommages corporels. Par conséquent, si les troubles mentaux du salarié sont avérés, le délai de prescription applicable est de 10 ans à compter de la date de la consolidation du dommage ou de la date à laquelle la victime a eu connaissance du lien de causalité entre les agissements et ses troubles psychologiques. Ce délai plus long vise à protéger les victimes dont les conséquences des atteintes à leur intégrité physique ou psychologique peuvent se manifester ou s’aggraver sur une longue période.