La plainte pénale
Les troubles psychologiques liés au travail peuvent résulter de manquements graves de l’employeur ou de comportements individuels au sein de l’entreprise. Ces situations ne relèvent pas uniquement du droit du travail et de la protection sociale, elles peuvent également entraîner des conséquences pénales, engageant la responsabilité de l’employeur, de ses représentants ou d’autres salariés.
Le cadre juridique de la responsabilité pénale
Contrairement à la saisine du Conseil de prud’hommes qui vise à faire reconnaître la responsabilité de l’employeur sur le plan civil, la plainte pénale a pour objectif de faire sanctionner pénalement l’auteur des faits.
Les troubles psychologiques liés au travail peuvent être la conséquence de diverses infractions pénales. Les plus couramment invoquées sont les suivantes :
L’obligation générale de sécurité de l’employeur imposée par le code du travail
L’article L. 4121-1 du Code du travail impose à l’employeur une obligation de sécurité en matière de santé physique et mentale.
Son manquement, lorsqu’il cause ou contribue à causer un dommage psychologique, peut constituer une infraction pénale.
Les infractions particulières définies par le Code pénal
Les principales infractions pénales mobilisables en matières de souffrances psychologiques liées au travail sont les suivantes :
- Le harcèlement moral (article 222-32-2 du Code pénal) ;
- Le harcèlement sexuel (article 222-33 du Code pénal) ;
- La discrimination (article 225-1 et suivants du Code pénal) ;
- La mise en danger délibérée d’autrui (article 223-1 du Code pénal) ;
- L’homicide involontaire (article 221-6 du Code pénal) en cas de suicide lié au travail ;
- Les blessures involontaires (article 222-19 du Code pénal) en cas d’altération de la santé mentale liée au travail ;
- La non-assistance à personne en danger (article 223-6 du Code pénal) ;
- Le travail forcé ou les conditions de travail contraires à la dignité (article 225-14).
Les délais pour agir
Les infractions concernant les troubles psychologiques liés au travail sont des délits qui se prescrivent par 6 ans. La date de départ du délai de prescription de 6 ans diffère selon les infractions :
- En principe, le délai de prescription de 6 ans court à compter du jour où l’infraction a été commise ;
- Toutefois, les règles sont différentes pour les délits de harcèlement moral ou sexuel qui sont des infractions commises de façon répétée sur une certaine période et qui sont appelées « infractions d’habitude ». Dans ces cas, le point de départ du délai de prescription de 6 ans est la dernière répétition de l’acte caractérisant l’habitude.
La procédure du dépôt de plainte pénale
Le salarié a deux options principales pour déposer une plainte pénale :
Le dépôt de plainte auprès d’un service de police ou de gendarmerie
Le salarié se rend sur place pour y être entendu. Un procès-verbal est établi et la plainte est transmise au procureur de la République. C’est la solution la plus simple en apparence.
La plainte directe au Procureur de la République
Cette démarche est la plus courante et la plus efficace dans les affaires complexes telle que celle de harcèlement moral par exemple.
Le salarié adresse une lettre recommandée avec accusé de réception au Procureur de la République du Tribunal judiciaire du lieu de l’infraction ou du domicile de l’auteur. Cette lettre doit contenir l’ensemble des éléments suivants :
- L‘identification des parties : le plaignant (le salarié), l’auteur des faits et l’entreprise ;
- Le récit détaillé et chronologique des faits : la description des faits (agissements subis exposés de manière détaillée), les dates (même approximatives) et les lieux précis où les faits se sont produits, les noms et coordonnées des éventuels témoins, l’impact des faits sur l’état psychologique (anxiété, dépression, épuisement professionnel, etc.) et les conséquences sur sa vie personnelle et professionnelle.
- Les preuves : les preuves écrites (Emails, SMS, courriers, comptes rendus de réunions, etc., qui démontrent les agissements), les témoignages (attestations écrites de collègues, de clients ou de toute autre personne ayant été témoin direct des faits) et les preuves médicales qui sont cruciaux pour établir le lien de causalité entre les agissements subis et les troubles psychologiques(certificats médicaux, compte-rendus de consultations, prescriptions d’arrêts de travail, attestations de psychologues ou de psychiatres).
Un modèle de dépôt plainte auprès du Procureur de la République personnalisable est en ligne sur le site Service-Public.fr
La décision du Procureur de la République
Le Procureur dispose d’un pouvoir d’opportunité des poursuites. Il peut décider :
- D’ouvrir une enquête préliminaire mise en œuvre par la police judiciaire qui doit lui permettre de vérifier l’existence d’une infraction à la loi pénale, de rassembler les preuves et de rechercher les suspects. À la fin de l’enquête, le service de police judiciaire transmet l’intégralité des procès-verbaux et du dossier au procureur de la République qui prendra sa décision.
- De classer l’affaire sans suite (faute de preuves suffisantes par exemple), avec ou sans le fondement d’une enquête préliminaire ;
- D’engager des poursuites contre l’auteur des faits devant le Tribunal correctionnel..
Le recours contre la décision du Procureur de la République
Si le procureur classe l’affaire sans suite, le salarié peut déposer une plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d’instruction du Tribunal compétent. Cette démarche a les effets suivants :
- Elle déclenche obligatoirement une information judiciaire (l’instruction préparatoire) menée par un juge spécialisé (le juge d’instruction) et mise en œuvre par la police judiciaire afin de rassembler des preuves, de rechercher les auteurs d’infractions et d’établir la vérité. permettre de vérifier l’existence d’une infraction à la loi pénale, de rassembler les preuves et de rechercher les suspects. Son rôle est de mener une enquête permettant de rassembler des preuves, rechercher les auteurs d’infractions et établir la vérité dans une affaire pénale.
- À la fin de l’information judiciaire, si elle conclue qu’il n’existe pas de charges suffisantes à l’encontre de la personne, le juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu.
- Si l’information judiciaire démontre qu’il existe des indices graves et concordants contre la personne suspectée d’être l’auteur des faits répréhensibles, le juge d’instruction peut le renvoyer devant devant la juridiction pénale compétente afin d’y être jugé.
Les sanctions
L’auteur des faits renvoyé devant le Tribunal correctionnel pêut être condamné aux sanctions suivantes :
Les sanctions pénales
Les sanctions principales sont les condamnations pénales, notamment les suivantes :
- Les peines privatives de liberté (emprisonnement ferme ou avec sursis) ;
- Les amendes ;
- Les peines complémentaires telles que l’interdiction d’exercer, l’affichage de la condamnation, la fermeture d’établissement, etc.
Les indemnités civiles (dommages et intérêts)
Si le salarié se constitue partie civile, il est en droit de demander des dommages et intérêts à l’auteur des faits qui a été condamné au titre de la réparation des préjudices, tant patrimoniaux qu’extrapatrimoniaux, subis par les troubles mentaux causés par par celui-ci, à savoir :
- Les pertes de salaires consécutives à des arrêts de travail, des périodes d’inaptitude temporaire ou définitive ;
- Les frais médicaux et paramédicaux non pris en charge par la sécurité sociale ou la mutuelle (consultations de spécialistes, thérapies, traitements médicamenteux, etc.) ;
- Les frais de formation ou de reconversion professionnelle si les troubles mentaux empêchent la poursuite de l’activité initiale et nécessitent une réorientation ;
- La perte de chance professionnelle si les troubles ont impacté négativement l’évolution de carrière du salarié ;
- La souffrances physiques et morales (pretium doloris) c’est à dire la douleur endurée du fait des troubles mentaux ;
- Le préjudice d’agrément comme la perte de la possibilité de pratiquer des activités de loisirs ou sportives ;
- Le préjudice esthétique en cas de répercussions visibles des troubles (perte de poids importante, détérioration de l’apparence due au stress ou à la dépression, etc.) ;
- Le préjudice d’établissement en cas de perte de chance de réaliser un projet de vie familiale normal ;
- Le préjudice sexuel en cas d’atteinte à la vie intime.
L’articulation du dépôt de plainte avec les autres procédures
Les procédures suivantes peuvent s’articuler avec le dépôt de plainte du salarié :
- Une procédure devant le Conseil de prud’hommes pour obtenir la réparation du préjudice, la résiliation judiciaire du contrat de travail, la nullité du licenciement, etc. ;
- La reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle permet l’obtention d’indemnités journalières, d’une rente, ainsi que d’autres prises en charge financières et peut donner du poids au dossier pénal ;
- Le recours à l’inspecteur du travail permet la constatation des infractions et la transmission un rapport au Procureur de la république.
Les risques et précautions pour le salarié victime des faits délictueux
Le dépôt d’une plainte pénale n’est pas neutre et le salarié doit tenir compte des éléments suivants :
- Des risque de contre-attaque avec un dépôt de plainte contre lui pour dénonciation calomnieuse si les faits sont manifestement infondés ;
- De la nécessité d’un accompagnement par un avocat spécialisé en droit du travail et droit pénal ;
- De l’importance de préserver sa santé (suivi médical, soutien psychologique, etc.) pendant la procédure qui peut être éprouvante nerveusement.