Le désalignement entre les valeurs personnelles des individus et les objectifs ou les valeurs affichées (ou implicites) de leur entreprise est une causes insidieuse, mais profonde, des troubles mentaux liés au travail. Souvent sous-estimé, il génère une dissonance cognitive et émotionnelle qui peut avoir des répercussions graves sur le bien-être psychologique des salariés.

Les définitions des valeurs personnelles et des objectifs de l’entreprise 

Les concepts de « valeurs personnelles » et « objectifs de l’entreprise » peuvent se définir comme suit :

  • Les valeurs personnelles sont les principes fondamentaux, les croyances profondes et les idéaux qui guident les choix, les comportements et la vision du monde d’un individu. Elles incluent, par exemple, l’honnêteté, l’intégrité, l’éthique, la recherche de sens, l’équilibre vie pro/vie perso, le respect de l’environnement, la justice sociale, la collaboration, l’autonomie, ou encore la performance mesurée et saine.
  • Les objectifs et valeurs de l’entreprise sont les finalités que l’entreprise cherche à atteindre (maximisation du profit, innovation rapide, leadership sur le marché, croissance à tout prix, etc.) et des principes directeurs qui sont censés guider son fonctionnement. Ces valeurs peuvent être explicites (communiquées, affichées) ou implicites (observées dans les pratiques quotidiennes, les décisions managériales, la culture d’entreprise).

Lorsque ces deux ensembles de valeurs entrent en conflit, le terrain est propice à l’émergence de la souffrance psychologique.

Les mécanismes du désalignement et leurs Impacts psychologiques

Le désalignement entre les valeurs personnelles et celles de l’entreprise n’est pas un événement ponctuel, mais un processus souvent insidieux, dont les mécanismes multiples et cumulatifs sont les suivants :

  • La dissonance éthique et morale est probablement le mécanisme le plus direct. Lorsqu’un salarié est contraint de participer ou d’assister à des pratiques qu’il juge contraires à son éthique personnelle (manipulation de données, vente forcée, non-respect de la législation sociale ou environnementale, pratiques managériales abusives, etc.), il ressent une profonde dissonance morale. Cette situation génère un sentiment de culpabilité, de honte, d’impuissance et de trahison de soi. Le conflit interne est constant, pouvant mener à des troubles anxieux, des troubles dépressifs et une perte d’estime de soi.
  • La perte de sens et de motivation intrinsèque peut être générée quand le salarié considère que le travail n’est pas qu’une source de revenus mais aussi un lieu d’accomplissement et de quête de sens alors que les objectifs de l’entreprise sont perçus comme uniquement financiers, dénués de toute contribution sociétale ou éthique, ou si les pratiques managériales vident le travail de sa substance. Cette désillusion peut saper la motivation intrinsèque du salarié, menant à l’ennui, l’apathie et, à terme, au burn-out (par épuisement du sens) ou au bore-out (par sous-stimulation et perte d’intérêt).
  • Le conflit entre vie professionnelle et vie personnelle a lieu quand l’entreprise promeut implicitement ou explicitement une culture de la disponibilité constante, des heures supplémentaires non rémunérées, ou une pression à la « sur-implication » alors que le salarié valorise fortement l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Cette situation crée une tension permanente, un sentiment d’invasion dans la sphère privée, et une difficulté à maintenir ses limites personnelles. Les conséquences sont l’épuisement, le stress chronique, les troubles du sommeil et des problèmes relationnels en dehors du travail, favorisant ainsi les troubles anxieux et la dépression.
  • Le manque de reconnaissance et d’autonomie peuvent amener le salarié à se sentir réduit à une simple ressource lorsque les valeurs de l’entreprise sont centrées principalement ou uniquement sur la performance collective à tout prix. Le sentiment de ne pas être vu, écouté ou d’être privé de son libre arbitre génère de la frustration, de la dévalorisation et un sentiment d’impuissance. Cela peut altérer l’estime de soi et mener à des états dépressifs ou à une anxiété sociale au travail.
  • La difficulté pour le salarié à s’adapter et la pression à la conformité sont susceptibles de générer un sentiment d’être en permanence « hors-jeu » ou « différent » en cas d’existence d’un écart important entre ses valeurs personnelles et celles de l’entreprise. La pression à se conformer à une culture qui ne lui correspond pas peut être exténuante. Il peut être amené à simuler un alignement, à cacher ses opinions ou ses ressentis, ce qui est psychologiquement épuisant et peut conduire à une aliénation de soi. Ce camouflage constant est un facteur de stress chronique, propice aux troubles anxieux et à l’épuisement émotionnel.
  • La perception d’injustice et de non-transparence peuvent émerger chez le salarié dont les valeurs personnelles sont axées sur la justice, la transparence et l’équité, et qu’il observe des pratiques de favoritisme, de décisions opaques ou de traitement inéquitable au sein de l’entreprise. Cette perception est un puissant facteur de stress et de frustration, pouvant entraîner de la colère rentrée, du cynisme et un désengagement pouvant aller jusqu’à la dépression.